atypique
BATALLA EN EL CIELO
de Carlos Reygadas
(le titre, c'est juste un clin d'oeil pour mon ami Pépin, pour lui donner envie de lire la suite...mais bon c'est quand même très justifié!)
Comme promis cette nuit, un petit post sur Batalla en el cielo, de Carlos Reygadas.
Second film de ce réalisateur mexicain, qui avait déjà fait beaucoup parler de lui il ya trois ans à Cannes avec son premier long-métrage, Japón, et qui a remis ça cette année en -c'est un euphémisme pudique- "ne faisant pas l'unanimité" auprès des critiques (même chez les Inrocks, ils se bouffent le nez, l'un titre "déchirant" et l'autre "grotesque"...Pourtant,par le passé, ils n'ont pas eu peur d'apprécier pire, les Inrocks... mais passons) Bon, c'est vrai que, dès qu'on a dans un film la représentation non simulée d'un rapport oral -et Magritte là dirait "ceci est bien une pipe"- (La marche triomphale, de Bellochio, Brown bunny de Vincent Gallo...) tout le monde en fait des gorges chaudes. Là bien sûr, ça n'a pas loupé, et même doublement (ou plutôt quadruplement) puisque non seulement cette pipouille figure au début et à la fin du film une fois sans sourire et une fois avec) mais en plus elle est prodiguée par une délicieuse donzelle à un gros mexicain apathique et beaucoup plus agé (un "gros dégueulasse" ont écrit certains critiques, mais je ne partage pas leur avis...) , en plus c'est la fille de son patron...
Marcos est le prénom du dédicataire de la susdite gâterie , et c'est lui acccessoirement, le héros (si l'on peut dire, puisqu'on pourra l'admirer sous toutes les coutures et sans aucun voile) du film. Le synopsis, quand on le reconstitue, tient en peu de lignes (rassurez-vous, je ne vous le raconterai pas!) et -finalement- peu de personnages (on en reviendrait presque au classique triangle amoureux) Au début du film, on peut être désorienté par une suite de scènes en apparence sans rapport, mettant chaque fois le spectateur en déséquilibre par le rapport inhabituel des images et de la bande-son, cette dernière venant souvent comme déranger ce qui est montré (sonnerie de portable sur défilé militaire, tictac d'horloge sur conversation entre mari et femme, Bach à fond les manettes sur station-service, etc...) Mais il est relativement plus facile de remettre les morceaux dans l'ordre que ne pourrait le laisser supposer la perplexité initiale (du spectateur) devant ces lambeaux de fiction, ces grumeaux de chronologie, ces personnages dont on ne comprend pas forcément les rapports, ces plans-séquences aussi amples qu'étonnants ...
Le plus important, il me semble, est que Batalla en el cielo est avant tout un film profondément mexicain, et revendiqué ainsi par son auteur. Ce mélange iconoclaste entre la religion, la sexualité, la violence, la misère, la laideur. Un enlèvement, un crime, trois scènes d'amour (oui oui c'est bien le mot...) non simulées, un pèlerinage... Eros et Thanatos, le trivial et le sublime, pas très neuf tout ça me direz-vous ? Ben si, justement! De ce chant funèbre, Reygadas fait une partition baroque et époustouflante, dérangeante parfois, fascinante la plupart du temps (aussi polyphonique que polymorphe ?) Sur un atlas des cinéastes, je le situerais quelque part entre Luis Bunuel et Harmony Korine (c'est vous dire le grand écart!). Avec un zeste d'Arturo Ripstein, et peut-être un je-ne-sais quoi de David Lynch... Il en a les audaces formelles, l'audace de la représentation crue des fantasmes et des obsessions, et (surtout) la capacité de transformer un mélodrame (osons le mot) en objet hybride, tour à tour flamboyant, nauséeux, lyrique, cynique, obscène, par un réel talent de cinéaste...
J'avais en sortant le sentiment d'avoir vécu une des expériences cinématographiques les plus étranges de ma vie. Comme lorsque, adolescent, j'ai découvert La montagne sacrée, d'Alejandro Jodorowski (que j'aimerais bien revoir d'ailleurs!)...
Fascinant aurais-je pu titrer...
Je terminerai juste en précisant
1) que je retournerai voir le film quand on le passera dans notre bôôô cinéma (il me semble que la salle où je l'ai vu avait un problème de projecteur, ce qui rendait la copie très sombre)
2) que l'affiche, même si je la trouve très jolie, est un peu malhonnête, car elle ne traite que la moitié du problème. (Vous vous en rendrez compte en allant voir le film, ce que je vous conseille vivement, mais je peux vous assurer d'avance que je connais certaines dents qui vont grincer...)