POLISSE
de Maïwenn
Soirée d'ouverture de saison, avec un Prix du Jury Cannes 2011 en avant-première, je pensais que ça attirerait un peu plus de gens. Tant pis pour eux, hein (ceux qui ne sont pas venus). J'ai pensé aux Bureaux de Dieu, qu'on avait aussi présenté en ouverture de saison et en avant-première, me semble-t-il. A cause de la qualité et de l'homogénéité de l'interprétation, et de par le boulot que font ces gens. Toute la misère du monde & cie. Et aussi par le va-et-vient entre documentaire et fiction (si Les bureaux de Dieu, un peu exceptionnellement, étaient une réalité -les entretiens- déguisée en fiction -les actrices-, Polisse, à l'inverse, déguiserait plutôt la fiction en documentaire : un groupe de flics à la fois dans l'exercice de leur fonction, mais aussi dans la vie privée (c'est le fait de les voir en action, sur le terrain, pataugeant dans la plus sordide et abominable réalité (viol, violence, inceste) et de voir ensuite ces mêmes dans leur vie "normale", en dehors du boulot justement, qui nous les rend si sympathiques, au risque d'ailleurs d'un soupçon d'angélisme : oui, ces flics-là ils sont tellement bien qu'on aimerait bien boire un verre ou sortir en boîte avec eux, -d'ailleurs c'est simple, ils sont presque toujours ensemble!-)
Maïwenn les filme (et se filme) avec acuité et chaleur. Ils sont tous extraordinaires et méritent d'être cités : Karin Viard, Marina Foïs, Naidra Ayadi, Karole Rocher, Emmanuelle Bercot côté dames, et Arnaud Henriet, Nicolas Duvauchelle, Jérémie Elkaïm, JoeyStarr et Frédéric Pierrot côté messieurs. (Je l'ai dit et je le redis : j'adore cet acteur, et le rôle qu'il a ici est (enfin) à sa mesure ; tout le monde glose et roucoule sur JoeyStarr, sur qui le film est tout de même un peu plus centré que les autres et qui le mérite, certes, mais il ne doit pas tout de même en éclipser du coup tous les autres, hein!)
Pouttant au départ, tout n'est pas joué, loin de là. Les deux scènes d'ouverture (l'entretien avec la fillette, puis l'interrogatoire du grand-père) sont suffisamment "réalistes" pour faire naître le malaise, dans leur crudité et leur quotidienneté, et le contraste avec la chanson choisie pour le générique ("L'ile aux enfants", célèbre et défunte émission enfantine, comme son nom l'indique) ne fait qu'accroître le malaise. A ce moment-là je l'avoue, je n'étais pas sûr de rester dans la salle jusqu'au bout.
Sentiment accru par le montage. Au début, comment dire, on a le sentiment que les plans ne sont pas raccordés, qu'ils sont simplement mis bout à bout, en vrac, et ce flottement est un peu désagréable. Et soudain, mystérieusement (miraculeusement) tout est là : le rythme, les scènes, le timing, les acteurs, on prend comme qui dirait enfin le train en route, et on n'en descendra plus jusqu'à la fin (la chute finale, qui est étonnante, je n'en dirai pas plus).
Pépin à la sortie parlait de mélo : même si le terme n'est pas exact (et je n'en ai pas trouvé qui soit plus précis) je comprend ce qu'il voulait dire : il y a là-dedans c'est vrai quelques scènes tire-larmes (un peu trop ?) (les petits roumains, le petit black) mais comment ne pas faire dans le "mélo" quand on parle d'enfants arrachés à leurs parents, hein ?
D'autant que Maïwenn n'hésite pas à recourir à l'excès inverse : la grosse rigolade (une scène mémorable de fou-rire lors du témoignage d'une ado pour un vol de portable, et ce qu'elle est prête à faire pour le récupérer) et la dérision.
Dans Les bureaux de Dieu, les instants "off" étaient traités en mineur (puisque c'étaient les seuls moments dont les dialogues n'étaient pas écrits) et ont consisté en improvisations demandées par la réalisatrice à ses actrices. Scènes de pause, en quelque sorte, respirations entre la densité de deux entretiens, épiphanies. Ici c'est un peu le contraire, et, plus on progresse dans le film, et plus les moments intersticiels prennent de l'importance, et finissent quasiment par prendre le pas sur le reste. C'est aussi le choix de la réalisatrice, qui a réalisé davantage un film sur les membres de la BPM plutôt qu'un reportage sur leur travail. (même si tous les aspects ou presque en sont évoqués). Tout ça sonne plutôt juste. Les moments off arriveraient presque à éclipser le reste, à nous faire croire par moments qu'on serait juste face à une bande de chouettes potes, avec leurs fou-rires et leurs engueulades, leurs faiblesses , et donc leur humanité. Les copains d'abord, quoi. sauf que pas du tout.
Il faut reconnaître à Maïwenn une audace et un culot certains, dans le choix du sujet, par le casting fabuleux qu'elle a réussi à rassembler autour d'elle (et je n'ai pas parlé de ceux qui ne font qu'une apparition, Sandrine Kiberlain, Martial Di Fonzo Bo, apparitions de luxe, tout de même...) et une évolution intéressante dans chacun de ses trois films : elle parviendrait presque à se détacher d'elle-même, à moins ne parler que d'elle, à s'autofilmer moins complaisamment, et on ne peut que l'encourager à continuer dans cette voie...
Comme disait Robert Mitchum de façon terrifiante dans La nuit du chasseur "Children..."