ILLUSIONS PERDUES
de Xavier Giannoli
Vu à la première séance avec Emma, sans rien en savoir de plus que ce dont je m'en rappelais. (En 1966 avait été diffusé parl'ORTF, en 4 épisodes de 100 minutes chacun, un "feuilleton" -on disait comme ça à l'époque-, avec, dans le rôle de Lucien de Rubempré, le jeune premier Yves Rénier, dans le rôle de Coralie, Elizabeth Wiener, et dans celui de Mme de Bargeton -qui dans mon souvenir s'appelait Anaïs mais ici se prénomme Louise, Anne Vernon, et il y avait aussi François Chaumette (qui à l'époque m'effrayait un peu) et Bernard Noël dans le rôle de Lousteau...) C'est d'ailleurs le seul contact que j'aie eu durant ma scolarité avec Honoré de Balzac...
C'est donc Xavier Giannoli (que j'aime plutôt bien, même si je ne connais pas si bien que ça la carrière, hormis l'excellent Quand j'étais chanteur, avec, déjà Gros Gégé) -qui a repris le flambeau, 55 ans plus tard, pour une nouvelle adaptation au casting plutôt... inoxydable (autour des jeunes amants Benjamin Voisin et Salomé Dewaels gravitent rien moins que Cécile de France, Jeanne Balibar, Vincent Lacoste, Xavier Dolan, Jean-François Stévenin, Louis-Do de Lencquesaing, André Marcon, Gérard Depardieu... Waouh!
2h30 de Balzac en costumes et en mots notamment (une voix-off qu'on n'identifiera qu'à la toute fin, qui, bien qu'utilisant je suppose les mots que lui prêta Balzac, réussit régulièrement à résonner très contemporainement (oui, faire echo, n'y est-il pas question, par exemple, d'un banquier devenu président, ou, même d'un canard... enchaîné ?) et c'est assez drôle d'entendre comme les mots de Balzac peuvent sonner cruellement juste (une scène d'anthologie de critique littéraire entre Lousteau et Lucien).
Lucien, un modeste jeune provincial d'Anhoulême (né Chardon mais aspirant à de Rumbempré -le nom de sa mère) "monte" à Paris pour y suivre une nobliaute elle aussi de province, Madame de Bargeton, avec dans sa poche un recueil de poèmes dédiés à sa protectrice (Les marguerites) qu'il compte bien faire éditer et qui, pense-t-il lui apportera la gloire et la richesse.Ils y sont suivis par le baron du Châtelet, amoureux transi de la dame, et vont bientôt se frotter à la puissante marquise d'Espard, qui va prendre en main l'éducation parisienne de Mme de Bargeton (une soirée mémorable -cuisante pourcertain(e)s- à l'Opéra), en l'amenant notamment à cesser de fréquenter Lucien (pour son bien et sa "renommée")... Celui-ci fait dans un premier temps l'apprentissage à la dure de cette fameuse "vie parisienne" et va rencontrer un journaliste sans scrupules et sans états d'âme, Lousteau, qui va lui mettre le pied à l'étrier dans ce monde de la "presse à scandales" (finalement pas si éloigné de nos actuels magazines people et autres réseaux sociaux) dont il va rapidement -avidement-) gravir les échelons. Mais (pour filer la métaphore escaladatoire (ou hippique), "plus dure sera la chute"...).
Un film historique, en costumes donc, très précisément reconstitué, qui nous fait follement virevolter, entre la petite histoire (splendeurs et misères de Lulu de Rubempré) et la"grande" (royalistes vs libéraux), entre mondanité(s) et intimité, entre richesse et déchéance (le fameux quart d'heure de gloire warholien y est dépeint avec acuité) où notre bel inconscient plein d'illusions (d'où le titre) fera les frais d'un jeu cruel dont on apprendre in fine par qui il a été organisé (au bowling social, il s'agit véritablement d'un strike, ou comment, en une seule soirée, faire voler en éclats une apparente réussite, sans pitié, et en se réjouissant de la chute -la déchéance- de son adversaire terrassé).
Les 2h30 du film passent sans effort (ni d'ailleurs que j'y aie la moindre velléité de m'y endormir, c'est dire), les actrices et acteurs s'y donnent sans compter (et à coeur joie), notamment notre duo de duchesses (Cécile de France comme sortant du Mademoiselle de Joncquières d'Emmanuel Mouret, tout en soupirs et en regards baissés, accompagnée à grands froufrous de "la" Balibar, absolument, divinement grandiose, dans ses atours et son maintien de paonne) mais tous, vraiment, y sont au diapason (Lacoste démontrant sans effort, une nouvelle fois, combien il est excellent, face au benjamin Voisin, découvert dans le Eté 85 de Françoi Ozon, que je n'aie -aïe- toujours pas vu).
On est au bal mondain. Du beau monde, du beau linge, des belles ritournelles, un ballet virevoltant (endiablé) étourdissant, Honoré en eût sans doute été flatté, de se voir ainsi adapté (adopté), en Cassandre de la presse en général et des critiques -littéraires et cinématographiques- en particulier. Quel beau ramassis de pourris, même si tout ce beau linge est impeccable (je ne vais pas mettre en pratique les théories lacostiennes sur la critique en ajoutant "peut-être trop... ", non non), bref c'est du cinéma aussi classique que classieux. Qui m'a paru correspondre assez fidèlement au(x) souvenir(s) vague(s) que j'avais des Illusions perdues de mon enfance...
Et tiens, cadeau, je ne résiste pas au plaisir de vous recopier le bout de "critique" des Inr*ocks dans allocin*oche :
"Le film est desservi par la plupart de ses acteur·trices, qui n’habitent que maladroitement leurs rôles et donnent à l’ensemble un air de mascarade parodique, exécuté en pilote automatique selon les standards boisés et jaunis de l’adaptation littéraire confortablement produite."
Et toc!
Et je concluerai en citant, en réponse, un extrait des dialogues du film :
"C’est juste une façon d’esprit à prendre… Si le livre est émouvant, tu dis qu’il est larmoyant. S’il est léger, tu dis qu’il est frivole. S’il propose des idées, il manque de chair. S’il a un style classique, il est académique… Tu peux t’en prendre à la longueur, aussi. Tout est toujours trop long…"
(Les critiques n'ont pas apprécié qu'on critique la critique, hihihihi)