ODETE
de Joao Pedro Rodriguez
O FANTASMA (qui signifie je le rappelle "le fantôme" et pas "le fantasme"), le premier film de ce jeune réalisateur, avait déjà provoqué de vives discussions, et m'avait laissé sur un sentiment mitigé, de fascination troublée dirons-nous, (j'aime bien quand je trouve un réalisateur qui aime et sait filmer les hommes) mais la radicalité et l'extrémisme de la dernière partie du film ne m'avaient pas permis d'adhérer totalement au propos, en tout cas d'en sortir complètement satisfait.
Je dois reconnaître que c'est encore une fois le cas ici.
Il y a dans ODETE deux trames narratives au départ hermétiquement disjointes : Rui, un jeune homosexuel vient de perdre son amant Pedro dans un accident d'automobile. Odete, jeune fille en rollers dans un supermarché, désire maladivement avoir un enfant, mais, pas de chance, son amant (fort appétissant ma foi...) vient juste de s'enfuir, suite à une nouvelle scène de ménage.
La nuit et le jour, le deuil et la naissance, le cimetière et la maternité, difficile de faire plus grand écart, et pourtant Joao Pedro Rodriguez va y parvenir, usant de toutes les ressources d'un scénario tordu, tout cela fusionnant dans une scène ultime qui m'a -une fois de plus- légèrement mis mal à l'aise. (plutôt comme maladresse que comme mal au coeur)
Le réalisateur, c'est indéniable, prend plaisir à filmer les corps de ces jeunes gens nous gratifiant de quelques images délicieuses.Comme le baiser des deux amants en gros plan qui fait l'ouverture du film, le pré-générique, scène infiniment plus sensuelle à mon goût que celle, quasi-identique pourtant -trouvez l'erreur !- qui clôture quasiment le film, mais en beaucoup moins fort.
Au couple du début (Rui et Pedro) qui n'en finit plus de se séparer en embrassades passionnées et en attentions exquises (je t'aime tu m'aimes on s'aime etc) mais qui va être séparé illico par la force des choses va succéder le couple d'Odete et de son délicieux ami-dont-j'ai-oublié-le-nom-mais-qui-vaut-vraiment-le-coup d'oeil (oserais-je qualifier cette scène dun tantinet exhibitionniste ? en tout cas j'en redemande...) qui vont être eux aussi séparés, manu militari, d'un commun accord d'Odete. Et le film va continuer ces allers-et-retours entre l'univers de Rui et celui d'Odete.
Le film nous fournit un panorama quasi-exhaustif de la vie homo (le bar, le sauna, le parking, la boîte...), en suivant les pérégrinations plutôt nocturnes de Rui, dans ses tentatives successives de faire son deuil. Ce jeune homme agit comme nous agirions tous en pareil cas, je pense, comme nous pourrions nous comporter dans cette situation de douleur maximale, il agit dirons-nous normalement, alternant douleur et violence, souvenirs et regrets, larmes et coups, recherche désespérée du plaisir et pulsions suicidaires...
Tandis que la demoiselle, l'Odete du titre, nous est présentée dès le début, comme un tantinet déséquilibrée. De par son métier, d'abord, (elle est "patineuse" dans un supermarché) puis par son comportement dans les premières scènes (son obsession de la maternité, sa violence quand elle jette son petit ami tout nu sur le palier, si si!), attitude qui ne va pas se "normaliser" au long du film, bien au contraire... Puisqu'elle oscille perpétuellement entre l'envie de vie (son bébé) et la fascination de la mort (un de ses apports principaux à l'histoire pourrait d'ailleurs se résumer par "tout ce qu'on pourrait bien faire dans un cimetière")
C'est un rideau bleu soulevé par un coup de vent qui va servir de point d'intersection aux deux récits : Odete va s'immiscer (on ne sait pour quelle raison) dans la soirée de veillée mortuaire de Pedro, puis à la cérémonie de l'enterrement, jusqu'à y revendiquer une place dont le spectateur en vient à se demander si c'est bien ou non la sienne. Dans une trame narrative au départ "réaliste", Joao Pedro Rodriguez glisse quelques éléments qui pourraient s'apparenter au surnaturel : les rideaux bleus déjà évoqués, le doigt d'un mort qu'on suce pour lui voler sa bague (hmm Bunuel aurait adoré...), un bouquet d'anthuriums, une tombe transformée en catafalque avec des bougies, un appel téléphonique d'outre-tombe, une grossesse miraculeuse... mais qui à chaque fois peuvent aussi se justifier pragmatiquement.
Non seulement Odete va se déclarer enceinte de Pedro, mais elle va par celà mettre en route un processus irrévocable , une machinerie minutieuse dont le réalisateur va illustrer les différentes étapes.
Chacune des rencontres entre Rui et Odete est comme un nouveau palier dans cet escalier de l'étrange (des mauvaises langues diraient "du n'importe quoi", mais ce sont des mauvaises langues...) qui met le spectateur à chaque fois un peu plus en déséquilibre, sensible au vertige fictionnel qui fait trembloter l'édifice de la narration. (comme d'un immeuble très haut on hésiterait à se pencher par la fenêtre.)
Pour en arriver, somme toute, à une conclusion du style "l'amour est plus fort que la mort", (oups! d'ailleurs je viens de m'apercevoir que c'est ce qui est écrit en accroche sur le bandeau du film) mais attention, relevée aux épices de Joao Pedro Rodrigues : un peu d'érotisme, un zeste de surnaturel, un poil d'étrangeté, et un je-ne-sais-quoi de... (Comment dit-on too much en portugais ?)
(ps : tiens pour une fois je trouve que l'affiche est très honnête : on pourrait dire que tout y est.)