AURORA
de Christi Puiu
Je n'y peux rien, c'est comme ça, ça doit être dans les gênes : j'adore le cinéma roumain. Ca a commencé avec Lucian Pintilié, ça a continué avec la "nouvelle vague roumaine", et ça ne s'est pas démenti. Christi Puiu avait déjà fait fort avec La mort de Dante Lazarescu (qui restait en 3h strictement dans les limites de son sujet : la dernière nuit d'un vieil homme), et récidive avec ce film dont le titre est certes moins directement explicatif.
Cela s'appelle l'aurore. Mais cela n'est pas ici synonyme de lumière, de chaleur et d'espoir...
Un homme (joué par le réalisateur lui-même) est suivi par la caméra dans ses déplacements (de jour, de nuit, dedans, dehors, dans un appartement en réfection, dans une cour d'usine, dans sa voiture, dans la boutique d'un marchand d'armes, dans une école,c chez sa belle-mère et j'en passe) de façon quasi documentaire, en plans-séquences, et sans qu'on sache vraiment à quoi tout celà correspond. (La lenteur et le "minimalisme" pourraient évoquer Policier, adjectif, de Corneliu Porumboiu, autre roumain que j'affectionne tout aussi chaleureusement). Viorel, donc, un genre d'anti-héros pas très bavard (ni très sympathique d'ailleurs, le réalisateur n'hésite pas à donner de son personnage une vision sans fioritures, pas loin du Yvan Attal de 38 témoins, les crampes aux maxillaires en moins : Puiu ne joue pas la fermeture, il l'est, simplement -fermé-).
Autant dire que ça ne rigole pas, a priori. Mais bon on est dans un film roumain, et donc on a droit à quelques embardées dialoguées (la grand-mère sort-elle à poil, quand le bûcheron ouvre le ventre du loup, à la fin du Petit chaperon rouge ?) ou scénaristiques (la viste du voisin du dessus avec son fils, après l'inondation dans la salle de bain) autant d'accrocs divertissants, de respirations, dans la trame grisâtre et sans concession de ce jusqu'auboutisme filmique.
C'est lent, on pourrait dire "c'est ennuyeux", c'est vrai, et pourtant c'est tout à fait fascinant. Puiu filme d'une façon absolument magistrale tous les espaces clos (tout particulièrement cet appartement en travaux dans le quel se passe une grande partie du film), il peaufine ses (dé)cadrages, ses cadres dans le cadre, ses plans tordus, d'une façon totalement (merci téléramuche) ju-bi-la-toi-re! Ca c'est du cinéma, nom de dieu, ça c'est du cinéma!
Il a même la gentillesse de m'adresser un clin d'oeil amical (mais là c'est strictement personnel) avec une scène de douche AQV (qu'il a assez joviale, d'ailleurs, même si un peu à contre-jour), et un autre pour ceux qui ont vu Dante Lazarescu (ça ne vous dit rien, ce sweat-shirt rayé bleu et blanc ?)
Un film glacé comme une nuit d'hiver, sec comme un coup de trique (la dernière scène fait froid dans le dos) et long comme un jour sans pain (enfilons joyeusement les clichés.).
J'oubliais "joyeux comme en Roumanie on sait l'être." Pouèt-pouèt!
Je me suis régalé.
Le film avec la plus minuscule police de caractères au générique de début de l'histoire du cinéma!