léger mal au coeur
JAR CITY
de Baltasar Kormakur
101 Reykjavik, Noi Albinoi, Back Soon... les quelques cartes postales de cinéma déjà reçues d'Islande étaient plutôt folklo, décalées, givrées, un peu zinzin, mais là, question bonne humeur, on est à des kilomètres. Question rigolade, on serait entre Dreyer et Reygadas, pour vous donner une idée. Pas de tapage sur les cuisses en perspective, donc. Jar City est l'adaptation d'un polar (islandais lui-aussi), dont tous les gens que je connais et qui l'ont lu m'ont dit le plus grand bien. Une histoire plutôt complexe, où un flic limite grincheux va devoir déméler les fils d'une ténébreuse enquête. (C'est vrai qu'on a un faible pour ces flics cabossés, désabusés, esquintés,solitaires, et celui-ci prendra sans problème une bonne place dans la famille...)
Dès le tout début du film, le ton est donné, on sait qu'il sera, justement, beaucoup question de famille et de filiation, puisqu'en très peu de temps on nous aura présentés trois filles : une qui va bientôt mourir à l'hôpital, une autre morte il y a bien longtemps, et une troisème (celle du flic qui mène l'enquête), qui ne va, disons, pas très bien... Qu'est-ce qui relie une fillette mourante et un homme qui se fait assassiner à coup de cendrier ? Le récit est complexe, mêlant les histoires et les époques, exhumant les cadavres, mais il s'avèrera que le meurtre est tout sauf "un crime islandais typique : bordélique et sans intérêt", ce qu'affirme au début du film, péremptoire, un collègue de notre flic bougon (un genre de faux Colin Farrell dans Miami Vice) l'autre étant une matrone en manteau à chevrons qui visiblement doit sourire approximativement une fois et demie par an.
Si les paysages islandais (même si ce ne sont pas ceux qu'on filme d'habitude) sont toujours aussi admirables, on n'en dira pas autant de ses habitants (surtout ceux impliqués dans cette sombre histoire), le réalisateur ayant privilégié les trognes, les têtes de vrais gens (comme vous et moi, quoi) pas forcément les plus glamour donc, ce qui en rajoute encore un peu dans le luthérien, le glauque et le mortifère, d'autant plus que les lieux (déjà pas franchements joyeux : un hôpital, un cimetière, un institut de conservation de cadavres dans le formol...) sont filmés dans des teintes jaunâtres, verdâtres, bleuâtres, avec des lumières comme assourdies, affaiblies, et que le film est présenté dans un format bizarre (du scope islandais ?) avec deux bandes noires supplémentaires en haut et en bas de l'écran. Ambiance.
On est très loin des joyeux clichés touristico-islandophiles, et on soupçonnerait presque le réalisateur d'en avoir rajouté une louche dans le réalisme neurasthénique ; ainsi la scène qui a failli me faire rendre mon déjeuner n'a rien à voir avec l'enquête proprement dite, il s'agit juste du repas de midi du flic grinchouilleux, qu'on verra, avec une certaine complaisance complice de la part du réalisateur, semble-t-il, déjeuner frugalement (et en plan rapproché) d'une tête de mouton. (Beurk, rien que d'y repenser j'en ai à nouveau l'estomac qui se retourne...)
C'est vrai que le terme d'humour à froid se justifie pleinement ici (il s'agirait de traces , un genre de paillettes cryogénisées). A plusieurs reprises, une réplique m'a fait venir aux lèvres un sourire, incongru comme un hoquet (mais j'étais à chaque fois le seul dans la salle à rirouner... c'est grave docteur ?) Mais bon, tout ça est impeccable, imparable, implacable. Et le film ne fait que confirmer tout le bien que je pense (et je ne suis pas le seul) du cinéma islandais.