UN SECRET
de Claude Miller
Drôle (!) de film.
Qui commence plutôt bien (très bien, même, les histoires de gosse malheureux, j'ai un faible, Caliméro oblige), tout le premier tiers disons, jusqu'à gling gling! la découverte de l'existence du secret, puis qui ralentit un peu, met ses warnings, et fait du sur-place narratif (le deuxième tiers) avant de finir plutôt mal en fonçant dans le décor, à force d'entasser soudain comme avec frénésie les bévues, les excès, les bourdes et les maladresses, bref badaboum.
C'est du grand public, du sur-mesure, du cousu main, du prêt à pleurer, du casting béton bankable. Qui tendrait à prouver que
1) Bruel a encore de beaux restes, mais de là à lui faire traverser trente ans quasi sans prendre une ride faut pas exagérer. Pour faire passer la pilule, Miller nous joue in extremis la carte regardez comme je l'ai bien fait vieillir de 50 ans tout d'un coup, mais là non plus hélas ça ne prend pas. Son personnage, Mxime est qualifié par les Inrockchounets d'intéressant. Certes, mais en le voyant on a le sentiment un peu que c'est le personnage de Bruel qui a contaminé le personnage qu'il interprète. Ou c'est moi qui interprète ?
2) Ludivine Sagnier devient un peu agaçante a toujours ainsi gémir etêtre malheureuse, et, osons le mot, calimérer. Non à la victimisation! (Observez tout de même la transformation du cadeau qu'on lui apporte à son anniversaire : hop! il est petit! hop! il est grand! hop il est moyen! Ou c'est moi qui hallucine ?)
3) Cécile de France devient un peu agaçante aussi à, au contraire, jouer les super femmes super belles fortes super moi je. Non à la championnisation! (Ou c'est moi qui me fatigue ?)
4) Julie Depardieu confirme, une fois de plus, avec un joli rôle d'amie de la famille (discrètement lesbienne si je ne m'abuse), sa nature tchékhovienne, et combien elle est une actrice fine et subtile (et hélas trop sous-employée)
5) Nathalie Boutefeu confirme, elle aussi, tout le bien qu'on pensait d'elle depuis les films de Jérôme Bonnel, et que ça fait sacrément plaisir de la voir arriver enfin dans la "cour des grands". Elle est parfaite dans le rôle de la soeur.
6) Claude Miller prouve encore qu'il est doué pour recruter et faire jouer des enfants (on en a ici deux pour le prix d'un : le premier en tout mais sauf en gym, (2,2kg à la naissance) et au contraire le premier en gym mais on ne sait pas trop pour le reste (3,6kg). (A propos d'enfant, son fils, Nathan, qui jouait le petit rouquin à lunettes qui se prenait un ballon en pleine poire dans La meilleure façon de marcher est à présent monteur dans le film de son papa, mais bon, ça n'a rien à voir avec l'histoire qui nous intéresse...)
Histoire de famille donc, racontée par un fils (Amalric) à papa (Bruel) et maman (de France), fils mal-aimé à cause d'un secret (justement celui qui sous-tend le film et qu'on ne peut pas le raconter parce que sinon il n'y a plus de mystère) mais déconstruite en plusieurs strates, un vrai mille-feuilles narratif. L'histoire d'une famille juive entre 36 et aujourd'hui, où une tragédie mondiale (39/45, ça c'est pour l'Histoire) se double d'une tragédie familiale (le fameux secret, ça c'est pour l'histoire). Et pour qu'on ne se perde pas, Miller nous met des post-it : les années aujourd'hui, c'est en noir et blanc, les autres années c'est en couleur, mais avec un traitement particulier pour les années 50/60 (un super-huitage de l'image, avec des couleurs un peu acidifiées, plutôt très réussi dans le genre gravure de vocabulaire : au bord de la piscine dans les années 60). Au début, la guerre est loin (on est bien après), puis on est avant (36, le Front populaire) et finalement on est pendant.
Au début, on a incontestablement affaire à un cinéaste : dans le choix des images des cadrages, le rythme, la finesse dans les transitions entre les plans et les strates de temps, voire la gestion des effets spéciaux... Dans la problématique, aussi, avec ce gamin maigrichon pâlichon qui s'invente un frère super balèze, qui fantasme l'histoire de ses parents (entre Amélie Poulain et Toto le héros). Jusqu'à l'ouverture gling gling again! de cette valise au grenier. Et la découverte d'une autre version que la sienne de l'histoire fmailiale. Dommage qu'alors (le ventre mou du film) il laisse un peu tout ça en plan (en planplan, plutôt...) et que, surtout, après (la fin), on se retrouve en plein naufrage narratif, où le raconteur tenterait de nous expliquer qu'il a assez de mal à rassembler tous les fils de son histoire et à retomber sur ses pattes pour abandonner toute vélléité créative.
A la précision de la reconstitution (de la fiction, donc, même si estampillée du label "d'après des faits réels") le réalisateur a hélas cru bon d'ajouter des images d'archives (de la réalité, donc, abominable, insoutenable) dont on finit par ne plus savoir si elles tirent plus vers la maladresse ou l'obscénité. Et était-ce vraiment judicieux d'enfoncer le clou en faisant ce parallèle lourdingue entre un cimetière d'animaux et la liste des victimes de l'Holocauste ? (Les voix d'enfants, tout à la fin, n'étaient pas véritablement indispensables, non ?) Comme cette histoire de chien, qui me semble assez malvenue, mais peut-être suis-je trop sensible et/ou respectueux ?